Un journal de confinement, tout le monde ou presque en fait un. En vidéo, en écriture, en dessin, mais toujours en public.

Il se passe en ce moment en moi un chamboulement houleux. Je n'ai pas encore ni les mots ni les images, ni représentation de mots ni représentation de choses. Elles sont là, pourtant, bien confinées, elles aussi, à l'intérieur de ma cage thoracique.

Déjà, avant le confinement, j'avais la larme sans doute plus facile que d'habitude à chaque film, même au film le moins crédible.

C'est curieux, j'ai du mal à sentir le danger, et pourtant l'atmosphère entre les catastrophistes et les je m'enfoutistes donne une ambiance innommable mais tout à fait palpable.

On assiste à un déferlement d'humour de défense, d'entraide, de générosité, et de dégueulis de bons sentiments, d'outrance mal placée, de narcissisme. C'est aigre, et ça me hérisse d'autant plus que j'ai la même chose en moi.

Au début (et pourtant on y est encore au début), je trouvais cette situation assez fascinante, sans doute protégée par l'impression, vraie ou fausse, que mon fils, mon mari et moi-même, sommes à l'abri des complications du covid-19, et que cette immunisation fantasmatique va toucher tous ceux auxquels je tiens.

Et donc, en photographe du dimanche (comme m'a traitée récemment un ami qui a été mon prof de photoshop) qui ne sait pas avoir de discours sur sa production photographique, qui trouve la guerre photogénique sans savoir dire pourquoi, j'ai envie de parcourir Paris fantomatique, à l'assaut d'un cliché qui ne se reproduira pas de sitôt. Mais hors les photographes de presse, interdiction d'arpenter le silence de Paris. Il y aura des clichés de ce désert où plane le "mal invisible". Mais jamais ceux qui resteront confinés en moi.

D'où peut-être ce besoin de mots, longtemps disparu au profit de l'image qui me permettait de parler sans avoir à entrer dans les détails, laissant intacte mais aussi cependant intouchée l'émotion essentielle.


Je fais des images cependant. D'abord pour garder en mémoire  ce moment incroyable. Puis pour remplir le temps. Enfin pour sortir cet innommé tumultueux et troublé qui s'agite en moi.





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On a commencé comme ça, le confinement avait à peine commencé et on s'est dit qu'on allait plaisanter sur son effet sur les enfants avec une poupée vaudou et écolo. Du psy et de la planète, ça fait chouette.


J'ai fait du reportage intra muros, et j'ai pensé que je pourrais faire ça tous les jours, tous les jours me renouveler.

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On se moque de ces tarés du PQ. On avait du stock il y a 10 jours. Je pense qu'on rira moins la prochaine fois que j'irai faire des courses s'il n'y en a pas. Encore que ça n'est pas la fin du monde. Le PQ est un problème pour les pays riches (et cette razzia une mine d'or pour confirmer l'hypothèse des psychanalystes qui sont depuis quelques temps complètement déconsidérés).  

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Je veux croire que je fais de jolies photos d'un état insolite. Je le crois parfois, et toujours au moment de les faire.

Mais tous les jours sont pareils. Il n'y a guère que la teneur des devoirs qui change. Et le bureau de travail.


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Et la place que s'octroie le chat.


Je fais les courses. Ça s'est fait comme ça. Mon mari travaille. A la maison. Je prends mon hybride pour voler quelques instants suspendus.

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"Tousse ensemble". Ce message ; ou les applaudissements à 20h pour le personnel soignant : me font monter les larmes aux yeux. Qu'est-ce que ça touche de profond en moi. Cette reconnaissance. Cet héroïsme. Trace de fantasme de grandeur. Pour sûr, je n'y ai pas renoncé complètement. Et me rends compte, aujourd'hui, et pour différentes raisons, qu'être normale ne me suffit pas. Pas aujourd'hui. Aujourd'hui je ne suis pas suffisante. Pas assez. Juste moi, et vraiment pas beaucoup, au fond pas beaucoup moins que non confinée.


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J'aime beaucoup cette photo, une des premières que j'ai prise à ma toute première sortie courses. J'adore le regard incrédule de cette femme devant cette razzia panique.

J'aime beaucoup cette photo, mais elle n'a pas interpelé grand monde sur les réseaux sociaux. D'une façon générale, je n'interpelle pas, ni les abonnés inconnus, ni ceux que je connais. Hormis quelques uns que je crois sincères, et d'autres solidaires. Je finis par me demander parfois si je ne me fais pas des histoires. Si je ne me cache pas derrière une soit disant incapacité à me vendre, arguant que je ne suis pas commerciale mais photographe. Je suis aussi jalouse et envieuse du narcissisme volumineux de certains. Laisse moi de la place. Dis-moi que ma photo vaut bien ton selfie. 

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Quelle situation fantastique. La dystopie, c'est aujourd'hui.

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Ces derniers jours, je me lève tôt. Je dors mal, je me lève tôt, je fais du sport. Tous les jours. Tous les jours je prends un bain.

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Tous les jours, je fais travailler mon fils grâce à l'enseignante qui, comme tous les autres, a dû inventer en urgence de nouvelles méthodes de travail.


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Il fait beau. Le soleil est assez haut pour entrer dans la maison au travers des branches du cerisier. Ça M'apaise. Et m'attriste.

Je fais des images. "Je fais des images".

J'ai pris la pomme biblique à dessein, mais en développant le fichier, son reflet dans le miroir, ou son double, m'interpelle. Je fais des images parce que j'ai déjà tenté auparavant les mots littéraires, et même les mots de concept psychanalytique, sans succès. Je n'ai pas non plus beaucoup de succès dans ma sublimation des imagos. Un rêve qui rate sa fonction, somme toute.

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