In Memoriam Clémentine ANQUETIL 1977-2024


Comment naît une œuvre à partir de rien ? Comment fait l’artiste pour, partant d’un matériau brut, un objet sans signification, faire naître quelque chose qui nous « parle », quelque chose en quoi nous nous reconnaissons ?

Assurément, l’inconscient de l’artiste se nourrit de millions de perceptions et de sensations, pour les fondre en quelque chose d’unique. Assurément ce quelque chose est signifiant - symbolique, figuratif, abstrait, mais toujours signifiant. Une photo ne peut jamais être réduite à ce qu’elle représente, à la fois parce qu’elle « dit » quelque chose de la personne qui l’a cadrée, sélectionnée puis retravaillée, et aussi parce qu’elle « parle » à la personne qui la regarde et y reconnait quelque chose de ses propres sensations.

La photographie est l’art d’écrire avec la lumière, de transformer une vision du monde en langage. Et si le photographe a un peu de talent et de métier, ce langage est compris de l’inconnu qui observe l’œuvre – un lien se crée avec le spectateur.

Tout artiste expérimente ce processus de création à sa manière. Mais il me semble que pour tenter vraiment de le comprendre, la photographie a ce privilège d’offrir un chemin direct entre la perception et l’œuvre. Au départ, il y a juste un sujet : un homme sur un banc, un chien, un arbre, un objet comme on en voit tous les jours. Puis, un clic plus tard, ce morceau de monde est devenu photographie d’un homme sur un banc, d’un chien, d’un arbre. Il est devenu une œuvre. Entre les deux, un processus ramené au plus simple : cadrer, déclencher. Rien d’autre pour nous distraire de la compréhension du chemin mystérieux qui mène de la sensation à l’œuvre.

Et pourtant. A peine a-t-on commencé à prendre quelques photos qu’on s’aperçoit que cette démarche toute simple peut connaître une infinité de variations. Et que chacune permet, à sa manière, de décortiquer le processus. Dans le choix du sujet : photographier le geste du peintre, celui du sculpteur, ou la main du compagnon qui fabrique un objet. Dans l’image elle-même qui, par de multiples distorsions, permet de voir autrement : cadrer, décadrer, flouter, surexposer, contraster, ou laisser faire les multiples aléas techniques (flare, grain, vignettage, etc.) Ainsi, ce qui devrait être une photo de rue (des pavés, une poutre, un banc) devient une œuvre minimaliste, presque une abstraction. Ainsi, ce qui devrait être un fouillis chaotique et hallucinatoire (des poubelles, un site industriel), devient unité et harmonie. N’importe quel sujet, homme, chien, arbre, poutre ou pétale que nous voyons tous les jours, nous apparait alors différent, étranger.

C’est cela le travail du photographe : nous faire voir étrangement.

Depuis quinze ans j’expérimente ce processus sous toutes ses formes, changeant d’appareil, d’objectif, de pellicule, de format, de sujet. Et creusant incessamment cette question dont la réponse n’est jamais tout à fait aboutie : comment fait-on une œuvre ?

C’est un fragment de réponse que je vous propose sur ce site.


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